L’aurige de Delphes- Étude d'oeuvre
Nouvelles perspectives sur les grands bronzes grecs
Publié le 20/12/2022
Du 1er au 4 décembre 2022, un colloque s’est déroulé sur
"L’Aurige de Delphes et la grandestatuaire grecque en bronze : nouvelles perspectives à l’époque dite du style sévère."
L’École française d’Athènes, l’Éphorie des Antiquités de Phocide et l’Établissement public dumusée du Louvre, ont signé en 2016 une convention ayant pour objet de définir un partenariatdans le cadre duquel ils se sont engagés à développer et à renforcer leur collaborationscientifique. Cette coopération en matière de recherche sur les antiquités grecques a conduit ledépartement des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, le Centre de Recherche et de Restauration des Muséesde France et d’autres institutions, àentreprendre un ambitieux programme deréexamen de l’Aurige de Delphes, fondésur l’apport de nouvelles technologies. Ils’agissait d’aborder avec un oeil nouveau laquestion de l’élaboration des grandsbronzes grecs depuis les dernièresdécennies du VIe siècle jusqu’au IVe siècleav. J.-C., en insistant tout particulièrement,grâce à l’étude de l’Aurige, sur l’époquedite du style sévère.
Le musée du Louvre et le C2RMF ont ainsieffectué des missions en mai 2017,novembre 2019, février 2020 et novembre2021 pour réaliser une étude scientifiquecomplète de l’Aurige au sein du musée deDelphes. Au total, plus de 800 kg dematériel d’examen et d’analyse du C2RMFet de l’Institut de soudure ont étéacheminés à Delphes pour étudier legroupe statuaire (l’Aurige et les fragmentsdu quadrige). Un des objectifs principauxétait de radiographier la statue, haute de1m80, afin d’en repérer notamment lessoudures. Le C2RMF et l’Institut desoudure ont ici réuni des compétencesuniques en termes de radiographie degrande sculpture et d’inspection sur sitepour réaliser ce travail. Les parois debronze étant relativement épaisses, lesrayons X classiques ne suffisaient pas et il a fallu utiliser des rayons gamma, ce qui a impliquél’utilisation d’une source d’iridium radioactif et la mise en place d’un périmètre de sécurité.
De nombreuses autres analyses ont été réalisées par le C2RMF, en particulier l’analyse élémentairepar ICP-MS-MS des différentes pièces de bronze coulées pour former le groupe statuaire (élémentsd’alliage, traces et ultratraces), l’étude pétrographique des noyaux d’argile liés au procédé decoulée, et la caractérisation par cartographie MA-XRF des matériaux constitutifs du visage(bandeau, yeux, cils, sourcils, lèvres, dents). Aujourd’hui toutes ces analyses ont livré leurs résultats.
Les analyses et examens ont ainsi permis de mieux comprendre la technique d’élaboration dugroupe statuaire, notamment en ce qui concerne la fonderie et l’assemblage. On sait désormais que l’aurige est composé d’une quinzaine de grandes pièces coulées séparément, mais avec lemême bronze contenant 10% d’étain.
Les analyses ont montré que les pièces de la statue ont été réalisées, pour la plupart, selon unprocédé indirect de fonte en creux à la cire perdue, mais que quelques détails (les oreilles, lesdoigts, les mèches devant les oreilles et le noeud du bandeau) ont été fabriqués selon un procédédirect de fonte pleine à la cire perdue et d’assemblage par coulée secondaire. A l’échelle de l’ensemble du groupe statuaire, il est aussi démontré que le procédé employé pourla réalisation des soudures était véritablement virtuose. Par exemple, pour le soudage de la têtesur le cou, du bronze liquide de même composition que les deux pièces à joindre a été coulé dansun canal ponctué de larges cuvettes. Les bords des deux pièces (c’est-à-dire les rives du canal) ontfondu superficiellement de façon à créer une soudure par fusion absolument parfaite. Laradiographie révèle l’emploi de cette technique très élaborée de soudage en de nombreux autresendroits totalement insoupçonnés avant l’étude : poignet droit, vêtement (composé en au moinssix pièces), bras, pieds, jambes et queue des chevaux, etc.
Sur le bras de l’enfant trouvé dans lamême zone que l’Aurige, les examens ontmontré des techniques de fonte etd’assemblage comparables à celles del’Aurige, mais un métal et un noyau deterre très différents.
Les nombreuses méthodes non invasivesdéployées (cartographie de fluorescenceX, spectrométrie Raman, diffraction X)ont permis de caractériser la polychromiedu groupe statuaire et de répondre auxquestions concernant les incrustationsmétalliques et les pierres utilisées. Al’origine, l’apparence de la statue étaitdifférente de ce qu’elle est aujourd’hui : la tête, la tunique, les bras et les jambes de l’Aurigeavaient l’aspect très doré, poli, et non oxydé du bronze à 10 % d’étain, tandis que les rênes et laceinture avaient une couleur rougeâtre (bronze à 5 % d’étain). Les cils et les sourcils ainsi que leslèvres, uniquement faits en cuivre non allié, étaient roses. Les quatre incisives visibles dans labouche entrouverte sont en argent. Enfin, le bandeau en bronze était orné de méandres et decroix incrustés d’étain de couleur gris mat, et de deux filets en cuivre non allié rose.
Les yeux de l’Aurige ont été analysés par cette combinaison unique de techniques portables. Lesrésultats montrent qu’ils sont fabriqués selon des techniques de marqueterie de pierres dures : leblanc de l’oeil est fait en magnésite, une pierre très blanche ; le contour de l’iris en une pierre de lafamille des basaltes ; l’iris brun rouge en calcédoine et le noir de la pupille en obsidienne. Lescaroncules lacrymales, sont quant à elles constituées de fragments de corail rose.
Enfin, l’étude de la provenance des matériaux a livré des résultats étonnants. Pour ce quiconcerne le cuivre, la composition en éléments en traces a été déterminée grâce au nouveléquipement ATRAMAP récemment installé au C2RMF (lien). Les résultats de cette analyse,combinés à l’analyse isotopique du plomb effectuée par le laboratoire de géologie de l’ENS deLyon, montrent que le cuivre provient des Cyclades, et plus précisément de Siphnos. Ce districtminier antique était déjà bien connu, mais plutôt pour la production de plomb et d’argent.
La provenance du noyau de terre est encore plus intéressante, puisqu’elle permet de proposer unehypothèse de localisation de l’atelier. Il est en premier lieu clairement établi que l’Aurige n’a pasété élaboré à Delphes, où le sol est calcaire. Dans le noyau de la statue, il y a des inclusions deroches granitiques très particulières, à deux micas, mélangées à des fragments de rochesédimentaire contenant des fossiles du plio-pléistocène.
Dans l’état actuel des connaissances, ce mélange n’existe nulle part en Grèce propre. En revanche,on le trouve en Italie du Sud, région colonisée par les Grecs au VIIee siècle av. J-C au point d’êtreappelée la Grande-Grèce. Plus précisément, l’atelier pourrait se situer en Calabre, entre Sybaris etCrotone. Cette hypothèse est très importante, étant donné que parmi les auteurs possibles del’Aurige, le nom de Pythagoras de Rhégion est évoqué. Cet artiste considéré comme meilleur queMyron d’après une source littéraire antique a conçu de nombreuses statues dont aucune n’estparvenue jusqu’à nous.
Département Recherche:
Groupe Objets:
• Benoît Mille, responsable du groupe, ingénieur métallurgiste et co-responsable du projet

• Thomas Calligaro, ingénieur physicien (développements analytiques)

• Yvan Coquinot, ingénieur géologue

• Dominique Robcis, restaurateur métaux archéologiques

Groupe Imagerie:
• Charlotte Hochart, ingénieure informatique 3D
• Elsa Lambert,ingénieure radiologue
• Anne Maigret, photographe
• Philippe Salinson, photographe
Institutions à l’origine du projet et partenaires extérieurs:
• École Française d’Athènes
• Éphorie des Antiquités de Phocide
• Musée du Louvre
• Archeovision (UMR 6034 Archéosciences Bordeaux)
• Institut de soudure
• Laboratoire de géologie de Lyon<
Responsables de l’oeuvre:
• Musée archéologique de Delphes